Feux
2025 - En cours d’édition.
Ici, n’est plus rien.
D’ordinaire la pluie fait sortir de terre l’odeur humide de la vie, des fleurs épanouies et de l’herbe grasse. Mes pieds dans la poussière, je ne sent des pierres noires et des branches calcinées qu’une odeur de mort, de brulé, jusqu’à l’écœurement. J’ai marché, mes pas s’enfonçant jusqu’aux chevilles dans ce tapis de cendre presque tiède. Des squelettes d’escargots, trop lents pour fuir, sont devenus des pierre blanches cassantes qui craquent sous mes pieds dans un bruit sinistre. Pas d’oiseau, pas de bruit, si ce n’est celui de la route indifférente. Même la pluie tombe en silence, étouffée dans ce sol mou. Il n’y a plus de feuille pour la retenir et tinter doucement.
À l’horizon, une montagne noire côtoyant une colline blanche, entre nous, des branches criant vers le ciel la noirceur d’une douleur éteinte. Ne pas oublier. Rappeler sans cesse qu’en de telle proportion, le feu ne laisse rien si ce n’est des braises qui, encore un mois plus tard, poursuivent leur ronflement destructeur.
Il a fallut plus de vingt jours pour l’éteindre, quelques heures dans les médias, réduit à de rares colonnes oubliées de journaux périmés. Si l’on en a parlé il y a peu, c’est pour évoquer un triste record, talonnait de près pas les feux espagnols et portugais. Ou bien, pour partager cette fête d’opportunistes venu piétiner le cimetière d’une terre anéantie. Sans pudeur, sans conscience, ils ont concrétisé la domination et l’exploitation sans raison des Hommes.
On parle peu de l’odeur après un feu, de la lumière orange qui embrase anormalement le ciel, de la pluie de cendres qui laisse un dépôt hors saison, ou encore du bruit tous le jour durant, des Canadairs se ravitaillant au point d’eau. On ne parle pas de l’ouïe devenu sensible, et qui reste en alerte à chaque bruit d’hélice et de moteur qui perce le ciel. Les regards qui se dressent alors et les lèvres qui murmurent « Non, pas encore ».
Seuls les roseaux repoussent, sorte de tiges vertes jurant presque d’indécence dans ce paysage désolé, où les braises des plus gros troncs se consument encore, dans une lente agonie fumante.